Rencontre avec une aînée cambodgienne inspirante, madame Sopha In
Article publié dans le Propageur-septembre p.22-23. Collaboration spéciale de Micheline St-Arneault, membre des Tables de concertation des personnes aînées du Centre-du-Québec et de la MRC d’Arthabaska.
En juin dernier, j’ai eu l’opportunité de représenter le Centre-du-Québec lors d’un voyage solidaire au Cambodge. Le séjour était organisé par Développement et Paix, une organisation non gouvernementale canadienne où je suis bénévole. Durant trois semaines nous avons côtoyé nos partenaires cambodgiens afin de mieux connaitre leurs réalisations dans les domaines du renforcement des capacités des communautés appauvries. Nous avons découvert combien riche est leur potentiel humain dans des projets reliés à des activités de subsistance en agriculture et à la protection de la forêt, à la participation citoyenne démocratique pour la justice sociale, à l’aide aux femmes victimes de violence et le soutien aux minorités autochtones. Nous avons aussi appris sur leur réalité culturelle, sociale, économique et politique.
Pour consulter le blogue, visitez le http://dpcambodge2016.wix.com/solidarite.
La rencontre de madame Sopha In, l’une de nos interprètes khmer-français, s’est avérée des plus marquantes. Une fois la confiance établie madame Sopha nous a dit : « Durant la guerre, j’ai dû enlever mes lunettes, bien que très myope, simuler être analphabète (les intellectuels étant suspects), sotte, couper mes cheveux, parler seulement en khmer, me cacher pour échapper aux Khmers rouges. Des membres de ma famille sont morts. » Des amis français l’ont aidée à se reconstruire psychologiquement et à reprendre confiance en elle. « Je ne fais pas de politique et j’aime tout le monde », tenait-elle à nous préciser. Une aura de sérénité se dégage de cette femme qui aura 63 ans en décembre.
Mère de 5 enfants, elle en a aussi adopté 7 autres, des orphelins du sida ou de la guerre. Également grand-mère, elle trime dur pour les instruire afin qu’ils aient une vie meilleure. Quelle leçon de courage et de compassion elle nous donne, sans le vouloir bien sûr, car elle est très humble. « Avant la guerre c’était… Après il a fallu… », cette expression revient régulièrement dans les présentations qui nous sont faites, illustrée par des exemples et des photos. Cette guerre fratricide échelonnée sur près de trois décennies a détruit les infrastructures comme les écoles, églises, pagodes, hôpitaux, industries, administrations, etc., ramenant le pays à l’âge de pierre et fragilisant le tissu social humain. Cela a nécessité un gigantesque travail de reconstruction. À la suite des accords de paix de Paris signés en 1991, une lente reprise vers la démocratie s’est mise en branle, mais la situation demeure fragile.
Au Cambodge, l’espérance de vie se situe autour de 64 ans pour les femmes et de 58 ans pour les hommes. Les personnes de 65 ans et plus comptent pour environ 4 % de la population d’un peu plus de 15 millions de personnes. Ce sont surtout des grands-mères. Il y a très peu de grands-pères qui ont survécu au régime de terreur établi par Pol Pot durant les années 75-79. On se rappelle que près de 20 % de la population d’alors a été décimée par les Khmers rouges qui préconisaient un communisme excessif. 10 ans de guerre avec le Vietnam suivies de luttes au sein de la population cambodgienne ont entre autres continué d’affaiblir le pays. C’est le pays qui a été le plus bombardé (entre autres par les États-Unis) de l’histoire.
Dans la culture cambodgienne, les personnes âgées sont très respectées. On valorise la transmission des expériences. Majoritairement bouddhistes, la pratique du culte des ancêtres est répandue. On peut voir dans chaque maison, commerce, un petit hôtel sur lequel on place des photos des personnes défuntes et des offrandes quotidiennes (fruits, légumes, etc.) Il n’y a pas de résidences spécifiques pour les personnes âgées. Celles-ci vivent avec leur famille, première source de filet social. Mais les conditions de vie sont très précaires. Ne trouvant pas de travail au Cambodge, les générations plus jeunes décident de s’en aller en Thaïlande, le pays voisin, et confient alors le soin de leur progéniture aux grands-parents.
Ceux-ci peuvent manquer de tout pour les petits-enfants dont ils doivent s’occuper, leurs parents étant souvent 2 à 3 ans sans donner de nouvelles ni envoyer d’argent. Il y a aussi des personnes âgées qui n’ont pas eu d’enfants ou qui n’ont plus de famille. Elles sont alors aidées par des voisins, des temples bouddhistes qui leur procurent gîte et couvert, des organismes tels la Croix-Rouge. Le chef du village peut aussi faire rapport au ministère des Affaires sociales du gouvernement qui pourra peut-être leur venir en aide. Mais les besoins restent immenses dans ce pays pauvre tout juste sorti de tant d’années de guerre, dépendant de l’aide internationale où les inégalités sociales sont majeures (30 % vit sous le seuil de pauvreté et la majorité en émerge à peine) et la corruption très présente (164e rang sur 188 selon le Transparency International 2011).
a Journée internationale des personnes âgées et des ancêtres a été soulignée le 1er octobre 2015 dans la capitale Phnom Penh. Célébrons le 1er octobre 2016 en pensées solidaires avec les personnes aînées du Cambodge et d’ailleurs dans le monde!